Un alpiniste prête secours à un porteur pakistanais

Transmise par téléphone satellitaire, la voix paraissait faible. «Je suis fatigué», a avoué ce matin-là l’alpiniste Louis Rousseau à sa conjointe, Candice Wu. Il était dans le massif Karakoram, à la frontière sino-pakistanaise dans l’Himalaya. La veille, le 4 juillet, sa journée avait commencé abruptement.

À 7h, un appel de détresse se rend au camp de base, à 5500 m d’altitude. Un porteur pakistanais souffre gravement du mal d’altitude. S’il n’est pas descendu d’urgence, il risque en quelques heures un oedème pulmonaire. Il pourrait mourir seul dans ce désert blanc. Aucun membre de son équipe japonaise ne semble vouloir l’aider.

Rousseau et sa petite équipe se préparaient à monter au deuxième camp de base avant de gravir le Gasherbrum I (8068 m). Sans hésiter, il se munit de médicaments et d’un traîneau et part secourir le porteur. Quelques collègues l’accompagnent. Un deuxième groupe de sauvetage les rejoindra à 9h. Au total, 16 alpinistes de différentes missions participeront à l’opération.

Ils rejoignent le porteur à 11h pour lui donner les premiers soins. D’autres bouteilles d’oxygène arrivent à 13h. Même si la météo est menaçante, il faut maintenant descendre le porteur le long d’un glacier dont la pente peut dépasser 45°, tout en se méfiant des crevasses. «C’est très long et périlleux de transporter une personne dans ces conditions», dit Candice Wu.

Amertume

Une fois au camp de base, un médecin de l’armée pakistanaise installe d’urgence une tente hyperbare. Personne de l’équipe japonaise n’est présent. Dans le récit qu’il fait, quelques heures plus tard, sur son site internet, Rousseau reste un peu amer: «Tous refusaient du bout des lèvres, invoquant une règle non dite qu’il ne faut pas se soucier d’aider les porteurs, sous prétexte que les sauvetages en haute altitude sont trop dangereux et mettent en péril le succès des expéditions… On avait même interdit la formation d’équipe de sauvetage par les autres porteurs pakistanais, sous peine de bris de contrat!», dénonce-t-il.

Le soir même, les sauveteurs partagent un repas en ruminant leur journée. «C’est à l’honneur et au grand coeur de tous qu’on a mangé et bu ce soir-là, en déplorant l’égoïsme et le manque d’humanité des autres», écrit-il. Ses salves auront des «répercussions», concède-t-il, mais il les assume. L’important, c’est que les six enfants du porteur ne soient pas orphelins.

Il existe deux ethnies de porteurs pakistanais, les Hunzas et les Baltis. Règle générale, ils sont moins aguerris que les sherpas népalais. Plusieurs, comme celui qui a été sauvé, sont des agriculteurs qui cherchent un travail durant la saison morte.

«L’obligation d’aider une personne en détresse est encore plus grande en montagne. Mais les alpinistes ne diffèrent pas vraiment des autres êtres humains. Certains vivent dans la compassion, d’autres traitent leur entourage presque comme du bétail», dit Jean-Pierre Danvoye, guide à l’Échappée belle et premier Québécois à avoir tenté une ascension hivernale du K2.

Il refuse toutefois de juger l’équipe japonaise. «Avant de se prononcer, il faudrait répondre à deux questions. Combien étaient-ils? Et dans quelle condition physique? Un tel sauvetage demande énormément d’énergie. Avant d’aider quelqu’un, il faut d’abord pouvoir s’occuper de soi, ce qui n’est pas toujours évident à cette altitude.»

Ouvrir son chemin

Louis Rousseau a 33 ans. Il pratique l’escalade depuis l’adolescence, mais c’est seulement en 2007 qu’il s’est initié à la haute montagne. Malgré ses aventures, il conserve son travail à la Direction de la santé publique du Québec à Saint-Jérôme. «Et pourtant, il a déjà réussi à devenir notre alpiniste le plus important de l’heure», estime Jean-Pierre Danvoye.

Rousseau fait partie d’une équipe nommée ABC – formée par un Autrichien, un Basque et lui. Quelques jours après le sauvetage, ils ont tenté d’atteindre le sommet du Gasherbrum I. Rousseau s’est arrêté à 7900 m, exténué. Les autres ont continué. Mais ce n’est pas la fin du voyage. Il reste sur place pour l’objectif ultime: gravir bientôt le K2 – deuxième sommet du monde, à 8611 m. Une personne sur quatre n’en revient jamais. Lui tentera d’atteindre le sommet en empruntant une nouvelle voie. «Le K2 est beaucoup plus difficile que l’Everest, rappelle Jean-Pierre Danvoye. De plus, Louis va l’attaquer en utilisant une nouvelle voie et sans oxygène. Cela rend le défi encore plus difficile. Il fonctionne toujours de cette façon, il cherche toujours à ouvrir sa propre voie. C’est l’alpinisme dans sa forme la plus pure.»

Rousseau devait finir ce matin sa descente du Gasherbrum I.

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