Première ascension du mont Blanc, 8 août 1786

À l’époque, pas de crampons ni de piolet pour vaincre les pentes et les glaciers du toit de l’Europe. Ni d’hélico en cas de pépin. Aujourd’hui l’escalade du mont Blanc est presque devenue une promenade de santé que réalisent chaque année des centaines d’hommes, de femmes et même d’enfants… même si certains y laissent leur peau. Il y a deux siècles, c’était une autre paire de manches. Le « mont maudit », comme on l’appelait alors, semblait un Graal impossible à conquérir. Comme une demi-finale aux Jeux olympiques pour l’équipe de France de football féminin. À l’époque, plusieurs expéditions s’y sont cassé les dents.

L’exploit est enfin réalisé par ces deux hommes qui quittent Chamonix bien avant l’aube, le 7 août 1786. Celui qui ouvre la marche, nommé Jacques Balmat, est un Chamoniard de 24 ans. Il vit en élevant quelques vaches et en revendant les cristaux qu’il trouve dans la montagne. À l’occasion, il sert aussi de guide aux rares visiteurs qui s’aventurent dans la vallée de Chamonix. L’homme qui marche derrière lui est le jeune médecin du village, Michel-Gabriel Paccard, 29 ans. Lui aussi est né à Chamonix, lui aussi adore les courses en montagne.

Ils ont décidé de tenter leur chance ensemble quelques jours auparavant. Paccard est venu chez Balmat pour soigner sa fille, Édith, qui est souffrante. Le guide confie alors au médecin avoir récemment découvert une voie menant probablement au sommet du mont Blanc. Il est décidé à tenter l’aventure, seul lui manque un compagnon d’escalade. Paccard le supplie de le prendre, lui. Pour le convaincre, il promet non seulement de le payer comme guide, mais encore de lui laisser empocher l’entière récompense promise par le naturaliste et géologue suisse Horace-Bénédict de Saussure à qui découvrira une voie menant au sommet. Tope là. Le guide chamoniard est enchanté de l’accord. Ce qu’il ne peut pas savoir, c’est qu’à leur retour ils trouveront Édith morte, faute de médecin.

Redingote et thermomètre

À l’époque, l’équipement du gentleman grimpeur est plutôt limité. Pas de piolet, pas de crampons, pas de lunettes Porsche anti-UV, pas d’hélico à appeler au moindre pépin. Les deux hommes partent dans la nuit du 7 août équipés de bâtons de marche et d’un moral d’acier. Il fait beau, c’est la pleine lune. Ils ne croisent personne en traversant Chamonix. Le médecin, qui n’a pas eu le temps de s’équiper au Vieux Campeur, porte sa redingote. Il a confié à son compagnon une boussole, un baromètre et un thermomètre pour effectuer des mesures au sommet. Des instruments en cuivre qui pèsent un âne mort.

Après une bonne marche d’approche, les deux hommes bivouaquent quelques heures, avant de repartir vers 17 heures. Cinq heures plus tard, ils campent sous un énorme rocher, au sommet de la côte, entre les glaciers du Bosson et du Taconnay. Le lendemain ils se mettent en marche vers 4 heures du matin, enchaînant les glaciers du Taconnay, des Grands Mulets et du Petit Mulet. C’est un cauchemar. Ils manquent à plusieurs reprises de glisser au fond de crevasses. Mais Balmat a du génie pour renifler les pièges. Avant 11 heures, le duo atteint le dôme du Goûter, 4 304 mètres. Balmat agite son chapeau à l’intention des habitants de Chamonix qui suivent leur progression avec des télescopes.

Une fête gâchée

Balmat et Paccard reprennent leur route, malgré le vent qui souffle en rafales et le froid qui les paralyse. C’est un calvaire. Le guide ouvre la marche, ahanant sous sa charge ; le médecin suit, les yeux cramés par la réverbération. Il voit à peine devant lui. Son corps lui fait mal partout. Mais il s’accroche, aussi vaillant que le septuagénaire Johnny sur une scène. Balmat, qui avance plus rapidement, est le premier à atteindre le sommet vers 16 heures. Épuisé, mais extraordinairement heureux. Il est le premier homme à avoir vaincu le mont maudit. Il redescend très vite chercher son compagnon. À 18 h 23, ils sont tous deux sur le toit de l’Europe. Tant bien que mal, le docteur utilise ses instruments pour effectuer quelques relevés.

Après 33 minutes passées sur le sommet, il faut déjà redescendre pour ne pas être surpris par la nuit. Le retour est presque aussi pénible que l’aller. Balmat doit guider Paccard qui ne voit plus rien. Vers 23 heures, ils en ont enfin fini avec les glaciers pour retrouver le sol dur où ils peuvent camper pour la nuit. À six heures du matin, les deux compères se remettent en route. Après une descente exténuante, ils rallient enfin Chamonix en début de soirée où ils sont accueillis en héros.

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