Une Saoudienne bouleverse l’art du café arabe

En Arabie Saoudite, déguster un café est un rituel aussi apprécié que laborieux. Fatiguée de devoir consacrer 30 minutes à la préparation de son arabica, Latifa al-Waalane a eu une idée révolutionnaire.

 

Cette jeune entrepreneuse saoudienne a développé, grâce à un programme gouvernemental de soutien à l’innovation, la première machine capable de préparer presque instantanément un café arabe traditionnel. Plus besoin de mélanger soi-même café moulu et cardamome ni de surveiller les ébullitions successives d’un processus sophistiqué aboutissant à une tasse de café traditionnel, reconnaissable à la teinte jaunâtre que lui donne le safran.

«Nous souhaitions fabriquer une machine qui pourrait préparer un café simplement en appuyant sur un bouton, sans avoir besoin d’ustensiles de cuisine et ainsi de suite», explique Latifa al-Waalane.

 

Son entreprise, appelée «Yatooq», est emblématique de l’effort entrepris par la pétromonarchie arabe pour diversifier son économie, alors que les cours du pétrole s’effondrent.

Lancée en 2013, la société de Mme Waalane fait travailler aujourd’hui 90 personnes, avec cette particularité: «l’usine est totalement gérée par des femmes» souligne-t-elle dans son bureau spartiate à Ryad.

Dans une pièce attenante, des femmes portant le vêtement traditionnel noir les couvrant de la tête aux pieds, gèrent les tâches administratives tandis que les grains de café sont torréfiés et moulus dans une autre salle.

Pour développer Yatooq, Latifa al-Waalane a reçu l’aide d’un incubateur de start-up lancé par le gouvernement saoudien pour promouvoir la culture d’entreprise et aider les entrepreneurs dans leurs projets.

Ce projet gouvernemental, connu sous le nom de «Badir», fournit gratuitement à des dizaines de sociétés les outils nécessaires à leur développement, comme des infrastructures et un encadrement professionnel.

 

Mme Waalane a pu créer le prototype de sa machine à café arabe dans le laboratoire industriel de Badir, qui lui a également fourni des conseils juridiques, comptables et un précieux réseau professionnel.

Yatooq est aujourd’hui totalement indépendant. Et si Mme Waalane n’a pas souhaité discuter du chiffre d’affaires de la société, elle affirme que son produit est disponible chez 80% des distributeurs d’électroménager d’Arabie Saoudite et exporté dans les pays voisins du Golfe et même aux Etats-Unis.

Avec quatre incubateurs à travers le royaume, le programme Badir prévoit d’étendre son action au-delà des seuls secteurs de l’industrie de pointe, de la biotechnologie et des technologies de l’information.

La chute d’environ 50% des cours du pétrole l’an dernier a mis l’accent sur le besoin pour l’Arabie Saoudite, premier exportateur mondial d’or noir, de trouver des alternatives économiques. L’effort de diversification engagé devrait se poursuivre sous le règne du nouveau roi Salmane qui a accédé au trône en janvier dernier.

 

Selon une source diplomatique, Badir «est probablement le meilleur exemple» des efforts entrepris par le pays pour exploiter le dynamisme des Saoudiens, faisant mentir les stéréotypes sur leur fainéantise supposée.

Le programme a été mis en place il y a cinq ans par l’agence scientifique nationale. Le gouvernement s’efforce d’augmenter la part de Saoudiens exerçant dans le secteur privé, qui emploie des millions de travailleurs étrangers.

Cet effort concerne aussi les femmes, généralement confrontées à de nombreuses discriminations dans ce pays régi par une version ultra conservatrice de l’islam où la mixité est interdite et où elles ne sont pas autorisées à conduire.

Si la contribution de Badir et des PME locales à l’économie saoudienne est encore limitée, Mme Waalane perçoit une reconnaissance grandissante des entrepreneurs dans le pays.

«Aujourd’hui plus que jamais, c’est vraiment cool d’être entrepreneur», conclut-elle.