Sorbonne Abu Dhabi cartonne aux Emirats

Il y a dix ans, la Sorbonne Abu Dhabi ouvrait ses portes. Pour cet anniversaire, le professeur Éric Fouache, le vice-chancelier de l’établissement, décrypte pour Le Point.fr la réussite de l’exportation de cette université à l’étranger.
Qu’est allée faire la Sorbonne aux Émirats arabes unis (EAU) ?
Professeur Éric Fouache :
Nous avons répondu à une invitation du gouvernement d’Abu Dhabi, qui a un projet très précis en matière d’éducation. Il veut diversifier les formations pour les jeunes Émiriens (qui représentent 15 % des étudiants), mais aussi créer un « hub international » pour les étudiants du monde. Parmi ces « étrangers », 60 % ont un lien avec les Émirats (parents expatriés ou famille présente dans le pays), et 40 % viennent du reste du monde, que ce soit d’Amérique du Nordou du Sud, d’Afrique de l’Est, d’Asie centrale, et bien sûr de la région. Car Abu Dhabi est aussi une oasis de paix et de sécurité, pour les étudiants tunisiens ou syriens par exemple.
La Sorbonne Abu Dhabi est-elle une grosse structure ?
Nous accueillons 900 étudiants. Nous sommes la seule université exportée dans sa globalité. L’opérateur principal est Paris-Sorbonne pour les lettres et les sciences humaines, mais nous fonctionnons avec Paris-Descartes pour le droit et l’économie, et avec Pierre-et-Marie-Curie pour les mathématiques et la physique.
Les diplômes délivrés sont-ils les mêmes que ceux délivrés à Paris ?
Ce sont les diplômes parisiens. Les étudiants sont enregistrés dans les universités françaises, et leurs copies d’examen sont corrigées avec les copies parisiennes, dans le même groupe d’épreuve. Impossible pour les correcteurs de savoir que l’élève est basé à Paris ou à Abu Dhabi. Tous nos étudiants peuvent à tout moment venir à Paris ; nous avons des conventions d’échanges pour un semestre. Ce sont les mêmes professeurs qu’à Paris ; ou s’ils ne peuvent pas se déplacer à Abu Dhabi, d’autres professeurs enseignent les mêmes contenus, avec les mêmes syllabus que ceux des professeurs parisiens.
Les étudiants parlent-ils donc tous le français ?
120 étudiants apprennent le français tous les ans. 60 % des enseignements sont faits en français, et 40 % en anglais. 80 % des étudiants sortent de notre université trilingues (avec l’arabe). Cette double culture, arabe et française, est un véritable atout pour nos étudiants. Et ceux qui sortent de notre université ont le diplôme français, ainsi que l’accréditation émirienne.
Comment s’est déroulée l’implantation de la Sorbonne à Abu Dhabi ? Êtes-vous, de fait, concurrents avec d’autres universités étrangères sur place ?
Pas du tout ! Nous sommes plutôt partenaires des autres… Entre 2000 et 2013, les implantations d’universités et d’écoles à l’étranger ont explosé. Aujourd’hui, 97 universités étrangères se sont installées aux EAU, dont une majorité à Dubai : 70 sont américaines, mais seulement une seule européenne, nous ! Sans compter qu’à part l’Université canadienne de Dubai, il n’y a pas d’autre établissement francophone. On travaille en réseau avec les autres, chacun sur son créneau spécifique. Nous sommes les seuls par exemple sur les langues, notamment les langues européennes. Et avec le système ECTS de validation des acquis, les étudiants profitent de nombreuses équivalences.
Quel est l’intérêt pour la France d’être implantée là-bas ?
Dans le contexte de crise actuelle entre la France et le monde arabe, l’intérêt est colossal. Nous n’avons pas de passif colonial ni politique, avec les Émirats arabes unis. On mélange les jeunes de deux mondes pour les faire travailler ensemble, c’est une excellente dynamique. 15 % des jeunes Français qui étudient chez nous ont un projet professionnel au Moyen-Orient.
Et pour la Sorbonne ?
Nous sommes l’unique université à pouvoir profiter d’une telle plateforme ! Nous rassemblons 77 nationalités ! La cohabitation se fait sans aucune tension. Cela rend heureux, une telle réussite, et cela motive à poursuivre notre action.
Qui sont vos étudiants ?
25 000 Français sont expatriés aux Émirats arabes unis : les familles apprécient que leurs enfants puissent étudier dans notre Sorbonne. Il y a aussi des étudiants qui ont étudié le français en deuxième langue (comme en Tunisie et au Maroc, par exemple), et qui veulent poursuivre leurs études dans cette langue. Le prestige de la Sorbonne et celui de la France attirent également. Sans compter les étudiants qui sont désireux d’apprendre une des trois langues qu’ils ne connaissent pas (parmi l’arabe, l’anglais et le français) pour poursuivre leur projet professionnel à l’international (60 % de nos étudiants trouvent leur premier emploi hors des EAU).
Comment sont sélectionnés les étudiants d’Abu Dhabi ?
Ils ne passent pas par la procédure APB, le dispositif « Admission post-bac » par lequel les bacheliers doivent passer pour s’inscrire à la Sorbonne. Ils sont sélectionnés sur la base de leurs résultats (l’équivalent d’un 12 de moyenne en terminale dans le système français) et bénéficient éventuellement de cours de mises à niveau en français. À la différence de la France, la présence en cours et aux travaux dirigés est obligatoire, ainsi qu’un tutorat si les professeurs le jugent utile. Une grande importance est donnée aux stages. On obtient ainsi un taux de 85 % de réussite en licence.
Ces études sont-elles payantes ?
Il faut compter environ 12 000 euros pour une année de licence, 25 000 euros pour une année de master. Nous sommes la moins chère des universités des EAU. On reste très proche du prix de l’enseignement secondaire pour expatriés : une année au lycée français d’Abu Dhabi coûte 9 000 euros. Et nous avons en plus des bourses au mérite, que l’on attribue après une évaluation en fin de premier semestre : au-delà de 12/20, les étudiants obtiennent une aide correspondant à 25 % des frais ; au-delà de 14/20, 40 %, et au-delà de 16/20, 60 %.
Quels sont vos projets ?
Nous souhaitons continuer notre diversification, en ouvrant des disciplines scientifiques, comme la médecine, la technologie destinée à l’industrie, la gestion de l’environnement, et approfondir les matières en lien avec le pétrole et le gaz. Et, bien sûr, consolider ce que nous avons déjà construit.
Source: Le Point