Pérou: destination la ville la plus haute du monde

Samuel Vergès, chercheur à l’Inserm, repart bientôt en expédition à La Rinconada. Située à 5 300 mètres d’altitude, cette ville du Pérou est la plus haute du monde. Les conditions de vie y sont extrêmes à cause du manque d’oxygène. Les habitants se sont adaptés de manière très surprenante. Les explications du scientifique.

Samuel Vergès a vécu une expérience « assez unique », confie-t-il avec beaucoup de modestie. Chercheur à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), ce docteur en physiologie était à la tête de la toute première équipe de scientifiques à partir en expédition, en février 2019, à La Rinconada. Située à 5 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, c’est tout simplement la ville du Pérou la plus haute du monde. Objectif : comprendre les effets du manque d’oxygène et les adaptations physiologiques du corps humain à des conditions de vie extrêmes.

« C’est une ville dont on avait la connaissance sur des documents, mais aucun chercheur ou médecin n’avait pu réellement y accéder jusqu’à présent : c’est très isolé, c’est assez inhospitalier à tous points de vue : sanitaire, environnement, sécurité… On était donc la première équipe à initier un programme de recherches là-haut », raconte le scientifique grenoblois, joint par téléphone, avant d’y repartir d’ici dix jours.

« Pas d’eau courante, pas de chauffage… »

Les chercheurs de « l’Expédition 5 300 » ont d’abord été surpris de voir que des habitants vivaient sur place, à l’année. « Pourtant, dans les livres scientifiques classiques, on estime d’habitude qu’au-dessus de 5 000 mètres, la vie humaine n’est pas possible à cause du manque d’oxygène : il y en a moitié moins qu’en plaines. Et là, on se retrouve avec des dizaines de milliers d’habitants qui vivent ici depuis des millénaires dans des conditions très rudes, très rustiques. On dirait plus un bidonville qu’une vraie ville en fait : les cabanes sont en tôles, il n’y a pas d’eau courante, pas de tout-à-l’égout, pas de chauffage, pas de cultures… », témoigne Samuel Vergès qui a déjà dirigé de nombreuses expéditions en haute altitude, mais n’avait jamais vu une chose pareille. De quoi vivent ces habitants ? De l’exploitation des mines d’or dans des conditions extrêmes, explique-t-il.

85 % de taux d’hématocrite

Et le chercheur n’est pas au bout de ses surprises. En soumettant les habitants à des examens médicaux, son équipe constate que les habitants se sont génétiquement adaptés au manque d’oxygène : leur sang est différent du nôtre.

« On sait que lorsqu’on passe plus de temps en altitude, on produit généralement plus de globules rouges. C’est ce que recherchent généralement les sportifs de haut niveau, rappelle cet ancien biathlète de haut niveau. Mais eux, leur taux explose : 85 % de taux d’hématocrite (volume occupé par les globules rouges circulants dans le sang exprimé en pourcentage par rapport au volume total du sang, N.D.L.R.) dans le sang d’un travailleur de la mine, c’est hallucinant ! En France n’importe qui avec un tel taux serait déjà mort d’une crise cardiaque ou d’une hémorragie ­cérébrale. »

Des maladies cardio-vasculaires

Les chercheurs observent que « cette adaptation est nécessaire à cette altitude » et qu’elle fait d’une partie des habitants des « êtres exceptionnels avec une quantité de globules rouges énormes qui n’avait jamais été mesurée chez l’homme, un cœur hypertrophié, des vaisseaux sanguins dilatés ».

Mais elle pose un problème de santé pour un certain nombre d’entre eux. « Environ un quart de la population développe des maladies liées au mal chronique des montagnes, c’est-à-dire des problèmes cardio-vasculaires liés au manque d’oxygène et à la vie permanente en altitude », signale le chercheur.

L’espérance de vie sur place n’excéderait pas 60-65 ans, estiment les chercheurs. Cependant, ils ne disposent d’aucune information fiable sur le sujet « car la population n’a aucun encadrement médical, ne dispose d’aucune donnée épidémiologique, mais dans tout le Pérou, l’espérance de vie n’est que de 75 ans, donc on peut estimer que sur place, dans ces conditions extrêmes, elle est probablement de dix à quinze ans plus basse ».

« Usure précoce des organismes »

La difficulté pour les chercheurs est de savoir si cette espérance de vie très basse est liée uniquement à l’altitude ou aux conditions de vie très rudes. « C’est sans doute la conséquence des deux », estime Samuel Vergès. Même s’il est convaincu que « le stress lié au manque d’oxygène est énorme et participe forcément à cette usure précoce des organismes. Nous-mêmes, d’ailleurs, alors que notre équipe est expérimentée et a l’habitude de l’altitude, nous avons souffert, dans les premiers jours, de nausées, de céphalées, de vertiges à cause du manque d’oxygène. Et puis, on est aussi plus naïfs que les locaux qui ont tous une adaptation à ces conditions exceptionnelles. Mais contrairement à eux, nous ne pourrions pas vivre sur place en permanence, c’est certain. »

Dans dix jours, les chercheurs repartiront donc sur place. « Notre objectif est de comprendre les limites de l’adaptation humaine et de notre organisme face à l’altitude, rappelle Samuel Vergès. En termes de santé, cela nous permet aussi de comprendre certaines maladies respiratoires dont sont victimes certains patients en manque d’oxygène dans des conditions de vie normales à Paris, Grenoble ou ailleurs. Et enfin, l’objectif est également d’aider les populations malades sur place en essayant de leur amener des traitements. Nous y resterons cinq semaines et nous y retournerons au mois d’août. »

Source: ouest-france