Un français fait de la prison pour rien en Arabie saoudite

«J’ai passé deux ans et demi en prison en Arabie saoudite. Je n’ai jamais su pourquoi» Le Français Hicham Matri pensait faire des affaires à Riyad. En mai 2010, il est jeté en prison. Il n’en ressortira qu’en octobre 2012, sans jamais avoir vu ni juge ni avocat. Son cas est emblématique des milliers de détentions arbitraires dans le pays, dénoncées par les ONG.
Hicham Matri était convaincu que la fortune était à portée de main au pays de l’or noir. Mais pour le jeune homme de 34 ans au collier de barbe fourni, l’aventure professionnelle a tourné au drame. «J’ai passé deux ans et demi en prison en Arabie saoudite. Aujourd’hui encore, je ne sais pas pourquoi», témoignait-il mercredi à Genève. Il était l’invité d’Alkarama, une ONG de défense des droits de l’homme active dans le monde arabe, à l’occasion de la présentation de son rapport annuel.
«Quelques questions»
Avec son partenaire, Chérif al-Karoui, Franco-Tunisien comme lui, Hicham Matri peaufinait son projet depuis des années: ouvrir un restaurant français à Riyad. «Je savais que les gens, là-bas, voulaient apprendre à consommer à l’occidentale. Il y avait de l’argent à se faire.» Le Parisien connaissait bien le pays pour s’y être rendu une dizaine de fois en pèlerinage, notamment en encadrant des groupes de touristes pieux. Le 22 mai 2010, les deux hommes quittent Paris, munis de visas d’affaires réguliers pour la capitale saoudienne, afin d’y trouver le local idéal. Hicham doit encore faire un saut au Caire pour régler d’ultimes détails avec d’autres partenaires potentiels. Mais le 27 mai 2010, alors qu’il s’apprête à embarquer à Djeddah où il a fait escale, un officier de sécurité de l’aéroport l’interpelle: «Excusez-nous, nous avons besoin de vous posez quelques questions.»
L’affaire de quelques minutes, pense alors Hicham. Il se trompe lourdement. Sans la moindre explication, il atterrit dans une cellule d’isolement de la prison d’Al Hayr, le plus grand pénitencier saoudien, situé à quelques kilomètres de Riyad. «Au début, je comptais les heures, puis les jours et les nuits. J’ai passé 197 jours dans ce trou», relate-t-il. Il est alors coupé du monde extérieur, privé de télévision et de contacts avec sa famille. Au bout de six mois, le décor change. Hicham rejoint une cellule collective. «Il nous arrivait d’être jusqu’à 12, parfois 14, tous des étrangers. Certains parlaient hindi, d’autre ourdou, on ne se comprenait pas. Il y avait des matelas partout. Les uns partaient, d’autres arrivaient.» Du jour au lendemain, Hicham Matri est à son tour transféré dans une autre prison, au sud du pays. «Ils font ça pour donner l’impression que certains finissent par sortir. Mais pour certains détenus, cela ne se termine jamais. Un jour, l’un d’entre eux m’a dit: «Cela fait dix ans que je suis là; j’ai passé plus de temps avec toi qu’avec ma femme.»
Relâché dans le désert
Pour Hicham Matri, le dénouement se profile enfin en octobre 2012. Il est envoyé chez un psychologue qui lui conseille «d’oublier», puis il est relâché avec son passeport, dans le désert, à une quarantaine de kilomètres de Riyad. Au cours de ses deux années et demie d’incarcération, il n’a jamais rencontré ni juge, ni avocat. A aucun moment, les autorités saoudiennes n’informent le jeune homme, au casier vierge en France, des motifs qui l’ont conduit en prison. «Comme 90% des détenus que j’ai croisés. Tous se disaient innocents, aucun n’avait été jugé. Il y avait des travailleurs pauvres, d’autres qui n’avaient fait que passer la frontière. Nous étions dans une catégorie différente de celle des prisonniers politiques saoudiens, condamnés pour avoir critiqué le roi.» Tout au plus lui aura-t-on laissé allusivement entendre, en 2011, qu’il avait été soupçonné de connivences terroristes.
Avec le recul, Hicham Matri est incapable de dire quelles ressources lui ont permis de résister à l’arbitraire et à l’absence d’intimité, de survivre à une grève de la faim et à ses 37 kilos perdus. Et d’endurer la séparation d’avec sa femme, ses quatre enfants, et son père, mort durant sa détention. Il sait que sa nationalité française l’a préservé des pires traitements et de la torture. Il a reçu régulièrement les visites du consul de France qui s’est mobilisé pour son dossier, avant de lui avouer un jour: «Je sais que vous êtes innocent. Mais nous ne pouvons rien pour vous. Il y a des intérêts entre les pays.»
Pour Alkarama, qui a plaidé activement sa cause, l’infortune d’Hicham Matri est emblématique de celle de milliers d’hommes et de femmes arbitrairement emprisonnés dans ce pays dépourvu de Code pénal. C’est précisément pour avoir transmis des informations sur les détentions arbitraires aux instances onusiennes que deux militants saoudiens, Mohammad al-Qahtani et Abdullah al-Hamid, ont été condamnés le mois passé à 10 et 11 ans de prison. Hicham Matri se fait un devoir de témoigner, pour tous ces gens-là, «dont on ne connaît pas l’histoire et qui ne peuvent pas parler». Il envisage de se lancer, en France, dans l’agriculture. Pour travailler au grand air, ce dont il a tant manqué durant deux ans et demi.
Source : LETEMPS.ch