Nims Dai : Que pensent les autres alpinistes ?

Nims Dai a gravi les 14 sommets de plus de 8000 m de la planète en seulement six mois, un temps record pour un projet spectaculaire. Mais entre débauche de moyens, appui logistique hors norme et utilisation d’oxygène, que vaut vraiment « Project Possible » ? Kilian Jornet, Mathieu Maynadier ou Mathis Dumas nous éclairent.

C’est un des plus grands défis de l’histoire de l’alpinisme. Si ce n’est le plus grand. Atteindre le plus haut point des 14 sommets de plus de 8 000 m, les 14 plus hauts sommets de la planète, a fait passer à la postérité un des plus illustres alpinistes de l’histoire, Reinhold Messner. En 1986, l’Italien a été le premier homme à y parvenir, non sans avoir frôlé la mort plusieurs fois et perdu certains compagnons de cordée dans l’aventure. Après lui, de nombreux alpinistes se sont lancé ce même défi extrême, dans différents styles, avec une approche de l’alpinisme plus ou moins dénuée d’assistance, au sens le plus large du terme.

Pour réaliser « Project Possible », force est de constater que Nims Dai n’a pas choisi une approche minimaliste. Pour venir à bout des « quatorze 8000 » en 6 mois et 6 jours, alors que la précédente marque était de 7 ans, cet ancien des forces spéciales britanniques s’est donné les moyens. Financiers d’abord, ayant réussi à mobiliser d’importantes ressources au fil de son aventure (il reste très discret sur la question du coût global du projet) ; logistiques ensuite, avec l’appui d’hélicoptères, d’une équipe de sherpas de très haut niveau, l’utilisation d’artifices pour augmenter ses capacités à performer en haute montagne… Mais à l’heure où l’alpinisme d’exploration se veut de plus en plus « éthique », bannissant l’oxygène, les produits dopants, les cordes fixes et préférant les ascensions discrètes, légères et rapides, la performance de Nims Dai n’est pas sans poser quelques questions.

« Ça n’a aucun intérêt d’un point de vue purement sportif, alpinistique » Kilian Jornet

« À certains égards, c’est un projet remarquable, assure Kilian Jornet, double « vainqueur » de l’Everest en 2017, en solo, sans oxygène et sans corde fixe. Nims Dai est un exemple pour les professionnels de la montagne au Népal : il leur a montré qu’eux aussi peuvent exploiter leurs capacités pour réaliser des projets d’envergure. « Project Possible » est surtout notable d’un point de vue logistique : c’est impressionnant ce qu’il a réussi à mettre en place pour pouvoir enchaîner les sommets de cette manière. »

Une vision partagée par Mathieu Maynadier, un des alpinistes français les plus prolifiques en Himalaya ces dernières années : « Si, personnellement, ce n’est pas du tout le genre de projets qui m’intéressent, je trouve ça fou ce qu’il a réussi à faire dans la planification de son défi. Nims Dai a sprinté sur les 14 sommets et il est toujours en vie. Cela prouve que lui et son équipe sont loin d’être des novices de la haute montagne. Et puis, quelle que soit la façon dont on grimpe un 8000, cela reste un très grand défi avec ses dangers objectifs qui sont les mêmes pour tous les alpinistes. »

« C’est top : un Népalais (d’origine, Nims Dai a passé la majeure partie de sa vie en Grande Bretagne, ndlr) qui réussit les 14 sommets de plus de 8 000 m en un temps record, c’est intéressant pour l’image du pays », constate de son côté Hélias Millerioux, Piolet d’or 2017 pour une réalisation d’envergure sur le Nuptse. Et puis quel spectacle ! Ces records parlent au grand public, cela expose l’alpinisme dans les médias. Pour le reste, honnêtement, je n’en reviens toujours pas : comment est-ce possible ? Avec quels moyens ? Et surtout, cela soulève la question de l’éthique : quelles quantités d’oxygène a-t-il utilisées ? Comment la voie est-elle préparée devant lui ? Quelles « drogues » prenait-il pour tenir un rythme d’ascensions aussi invraisemblable ? »

La question de la manière dont Nims Dai a réalisé « Project Possible » semble centrale, comme le soulignent également Hervé Barmasse et Mathis Dumas, deux alpinistes professionnels rencontrés à Kathmandu, de retour d’une expédition dans le Khumbu : « Nims Dai a pu compter sur une équipe de sherpas d’exception, connus au Népal pour faire partie des tout meilleurs grimpeurs du pays. Cela a sans aucun doute rendu le projet possible. Nims Dai n’est que le visage charismatique d’un travail d’équipe hors du commun. »

« Il a fait rêver tout le monde, c’est indéniable, mais il a mis en lumière une vision de l’alpinisme discutable » Hélias Millerioux.

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