L’immobilier 2.0

Dans l’immobilier, les professionnels réunis au Mipim de Cannes n’ont encore rien subi mais sont bien certains qu’il va se passer quelque chose. Quand ils ont vu Google racheter Nest, une start-up spécialisée

dans la domotique, cela leur a mis la puce à l’oreille. Carlo Ratti, directeur du laboratoire Senseable Cities du MIT, meilleur spécialiste des interactions entre les villes et les nouvelles technologies, l’affirme à Libération: «Les acteurs de l’immobilier commencent à avoir la trouille. Ils se disent que s’ils ne changent pas, ils vont mourir».

Mais, mais, mais… ce n’est pas sûr. «Si l’on réfléchit à la façon dont la valeur a changé de mains dans la musique, poursuit Ratti, on voit qu’elle est passée de Sony à Apple et aujourd’hui à Spotify. Mais jusqu’à présent, l’immobilier est indemne parce que c’est un exercice très concret, très physique, avec du béton…» Un bâtiment ne se dématérialise pas aussi vite qu’une création de l’esprit.

Carlo Ratti admet qu’il est difficile de dire qui tirera les marrons du feu, entre de nouveaux acteurs venus du numérique ou des vieux de la vieille qui construisent les immeubles. «Cela peut être l’un ou l’autre. Dans les industries qui ont de très lourdes infrastructures techniques, comme le bâtiment ou l’automobile, il est difficile de savoir dans quelles mains ira la valeur ajoutée.»

C’est exactement ce que pense Philippe Morel, directeur de Next Door, une filiale du groupe Bouygues. «L’immobilier est arrivé en dernière phase de la révolution numérique, dit-il. Mais comme il s’agit d’un métier qui a de nombreuses contraintes physiques de sécurité, qui est pris dans énormément de normes, c’est moins simple.»

De plus, le numérique entre dans le bâtiment par différentes portes. Philippe Morel cite la maquette numérique qui permet de ne faire tous les calculs qu’une seule fois. «Dans les prochaines années, nous construirons plus vite grâce à elle et les bâtiments seront donc moins chers.» Une fois l’immeuble achevé, la numérisation est une gestion de ses flux pilotable sur mesure. «Que Google mette de l’intelligence artificielle dans un bâtiment pose évidemment la question de la valeur et de qui la capte, reconnaît Philippe Morel. Mais la question principale n’est pas cette valeur-là. C’est celle de la valeur d’usage. Et elle ne dépend pas que de la technologie.»

Avec Next Door, Bouygues va développer un concept de bureaux partagés et d’espaces de coworking. «Le numérique a impacté les façons de travailler et, donc, de penser les bâtiments. On ne sait pas comment vous allez avoir envie de vivre et de travailler demain mais on sait simplement que cela va changer. La vraie révolution, c’est celle-là», conclut Philippe Morel.

Sibylle VINCENDON (à Cannes)

Source: Libération.fr