Les ibadites à Oman
Persécutés par les chiites et par les sunnites, les « démocrates de l’islam » ne subsistent pratiquement plus que dans le sultanat d’Oman.
Dans la péninsule de Musandam, sur la route sinueuse qui longe le détroit d’Ormuz, des ouvriers s’activent sous un soleil de plomb. Tous les trente ou quarante mètres, l’un d’entre eux agite un panneau demandant aux rares automobilistes de ralentir leur allure. Pourquoi employer une dizaine de personnes rien que pour freiner la circulation ? « Rien ne pousse ici, ce n’est que de la pierre. Pour que la
population puisse subsister, Oman distribue ce genre de petits boulots. L’eau et l’électricité sont gratuites, la scolarité aussi », explique le chauffeur. Ni très riche, ni très pauvre, c’est ainsi que ce pays du Golfe tente de répartir la manne pétrolière.
D’ailleurs, le sultanat n’a pas été longtemps touché par la tourmente des révolutions arabes en 2011. Le chef de l’État, Qabous ibn Saïd al-Saïd, 75 ans, a aussitôt relevé de 40 % le salaire minimum, à 500 euros par mois, il a augmenté les bourses universitaires et promis une allocation aux chômeurs. Depuis, le pays a retrouvé sa tranquillité. Certes, à Oman, le pouvoir est détenu par une dynastie héréditaire depuis 1749, comme les autres dynasties de la région, avec sans doute les mêmes injustices. Malgré tout, avec des pratiques un peu différentes. C’est le seul pays musulman au monde à n’être ni sunnite ni chiite, mais ibadite.
L’ibadisme, ultra-minoritaire (moins de 1 % des musulmans dans le monde), professe un islam pacifique, aimable, tolérant. Il n’y a pas de djihadistes et de kamikazes d’origine omanaise.
Un mufti qui prône la laïcité à la française
En effet, pour obtenir le salut, il faut répondre d’une vie marquée par la piété et le travail. On ne peut pas se racheter en partant pour le djihad et en devenant un martyr. Mohamed-Chérif Ferjani, universitaire à Lyon, a rencontré il y a quelques années le mufti d’Oman. Ce dernier lui a déclaré qu’il souhaitait que les pays musulmans s’inspirent de la laïcité à la française « afin que cessent l’oppression, les discriminations et les persécutions au nom de la religion » (1). Le sultanat montre d’ailleurs l’exemple. Si l’ibadisme est majoritaire dans le pays, les autres obédiences de l’islam, les chiites et les sunnites peuvent pratiquer librement leurs rites dans leurs mosquées.
Mieux, le ministère des Affaires religieuses d’Oman ne concerne pas seulement l’islam, mais aussi les autres religions, le christianisme, l’hindouisme. Et même si la totalité de la communauté juive (entre 5 000 et 10 000 personnes) a quitté le pays avant 1960, il n’y a pas eu de persécutions religieuses à caractère antisémite dans ce pays du Golfe. Contrairement à l’Arabie saoudite, mais comme c’est le cas dans les autres pays du Golfe, les femmes peuvent travailler et conduire une voiture. Mohamed-Chérif Ferjani assure que certains penseurs ibadites considèrent même que « le système politique qui correspond aux principes de leur obédience est la démocratie, fondée sur le principe de la liberté et de l’égalité en vue de réaliser la justice sociale conformément aux enseignements religieux » de l’islam.
De bonnes relations avec l’Iran
L’école la plus ancienne de l’islam reste méconnue. Il est significatif que Le Dictionnaire encyclopédique de l’islam, qui compte plus de 400 pages, ne lui en accorde que la moitié d’une, relevant seulement que, pour les ibadites, le Coran est créé, « alors que le courant majoritaire de l’islam le tient pour le Verbe incréé de Dieu » (2). À l’origine, les ibadites sont les descendants d’une branche de l’islam, le kharijisme, un mouvement dissident qui ne souhaite rejoindre aucun des deux camps après le schisme qui a suivi la mort du Prophète en 632. Depuis, ils n’ont jamais été ménagés par les autres branches de l’islam, sunnite, comme chiite. En dehors d’Oman, il n’existe que de petites communautés ibadites, notamment à Zanzibar, dans l’île de Djerba, en Tunisie, dans la région du M’zab en Algérie et dans le djebel Nefoussa en Libye.
Le sultan Qabous, au pouvoir depuis 1970, n’a donc pas pris position lors de la guerre entre l’Irak et l’Iran. Il n’a pas hésité non plus à recevoir l’ancien Premier ministre Itzhak Rabin à Mascate. Contrairement à ses voisins, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, Oman a continué à entretenir de bonnes relations avec Téhéran. Ce qui a permis à ce petit État (quatre millions d’âmes) de jouer un rôle majeur dans le rapprochement entre les États-Unis et l’Iran. Le sultan Qabous a aussi discrètement permis la libération d’otages occidentaux au Yémen, dont une Française.
(1) Mohamed-Chérif Ferjani, Fayard, 2005. (2) Cyril Glassé, Bordas, 1991.
Source: Le Point