Economie tunisienne en 2013

La Tunisie célèbre les deux ans de la chute du président Ben Ali, qui a marqué le début du Printemps arabe. Challenges fait le point avec Béatrice Hibou, chercheuse au CNRS. La Tunisie célèbre ce lundi 14 janvier les deux ans de la chute du président Ben Ali, qui a marqué le début du Printemps arabe. Si les Tunisiens jouissent désormais d’une toute nouvelle liberté d’expression, ils souffrent en revanche d’une situation économique et sociale dégradée, avec un taux de chômage de 17% en 2012, selon le FMI. Directrice de recherche au CNRS, rattachée au Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po (Ceri), Béatrice Hibou (1) explique à Challenges pourquoi l’économie tunisienne a du mal à redémarrer.
Qu’est-ce que la « révolution » a apporté aux Tunisiens ?
Elle leur a apporté la liberté d’expression. On l’oublie souvent aujourd’hui quand on écoute les Tunisiens se plaindre de l’immobilisme gouvernemental en matière économique ou même dénoncer la censure et les atteintes aux libertés ! C’est peut-être une banalité de le dire, mais le constat me semble fondamental : les nombreuses critiques de la population contre le régime donnent l’image d’un pouvoir discrédité, mais il ne faut pas oublier qu’avant, de telles critiques n’étaient simplement pas dicibles et que nombre des sujets de récrimination ont leur origine dans l’histoire plus ou moins récente de la Tunisie.
Pensez-vous que la coalition au pouvoir – formée par le parti islamiste Ennahdha et deux partis de centre-gauche, Ettakatol et le Congrès pour la République (CPR) – est en mesure de redresser l’économie du pays ?
A court terme non, pour au moins trois raisons. La plus importante d’entre elles, est que la question du redressement économique n’est pas une question conjoncturelle mais structurelle. C’est celle du modèle économique du pays, qu’il faut entièrement repenser. Ce que l’on appelle la révolution tunisienne est avant tout un mouvement social qui a mis en évidence l’incapacité de l’économie à inclure l’ensemble de la population. Il faudrait donc analyser en profondeur ces insuffisances et débattre des changements souhaitables. Or le gouvernement, mais aussi bien l’opposition, sont aujourd’hui avant tout engagés dans des débats identitaires et de société.
La deuxième raison est que le gouvernement est transitoire puisqu’il est issu des élections à la Constituante. Non seulement, il n’a pas toutes les cartes en main, car il n’a pas la latitude qu’il pourrait vouloir prendre pour faire passer des lois ou prendre des décisions jugées légitimes, mais son énergie est avant tout préoccupée par les échéances institutionnelles et politiques, avec l’élaboration de la nouvelle Constitution et la préparation des élections.
Et la troisième raison ?
La troïka ne semble pas avoir une conception du pouvoir très différente de ce qu’a connu le pays depuis son indépendance. Le gouvernement, et plus précisément les partis dominants, particulièrement Ennahdha, cherchent davantage à maîtriser les rouages de l’administration et à asseoir leur présence dans l’Etat qu’à résoudre les problèmes économiques et sociaux de la population.
Le gouvernement répond-il aux demandes de la révolution ?
Le mouvement social qui a porté la révolution demandait plus de justice et d’égalité. C’est aussi à travers cette grille que l’on peut comprendre la victoire d’Ennahdha et de ses alliés aux élections. Or il est frappant de noter que le gouvernement, qui n’a pas forcément oublié ces demandes, pense en termes de programmes d’aide, de lutte contre la pauvreté, de charité mais jamais en termes de politique fiscale. Or qu’y a-t-il de plus efficace pour mieux répartir les richesses que la fiscalité ? Mais là encore, ceci n’est pas le monopole du gouvernement. Les oppositions sont enfermées dans les mêmes façons de penser, ou plutôt s’empêchent de penser cette question fondamentale mais difficile.
Le FMI prévoit, lui, une croissance de 3,3% du PIB en Tunisie cette année et table même sur 6% en 2017. Ce sont plutôt des prévisions optimistes pourtant ?
Je ne connais pas les hypothèses sous-jacentes au calcul de ces prévisions, et donc je ne suis pas capable de les qualifier. Mais elles m’inspirent deux remarques. D’une part, ce n’est pas si mal car finalement, le pays n’aura connu qu’une année de récession, en 2011. Malgré les critiques d’attentisme et les incertitudes politiques, le tissu économique résiste. Cela rejoint mes analyses antérieures qui tendaient à minimiser le rôle du volontarisme politique de Ben Ali dans la « réussite » du modèle tunisien et à mettre en évidence la part d’autonomie relative du monde économique. D’autre part, cela reste inquiétant. Car dans les années 2000, les taux de croissance moyens de 5% n’ont pas empêché la montée du chômage, la baisse du pouvoir d’achat et le grippage des mécanismes d’inclusion, contribuant à la montée du mécontentement et du mouvement social qui a porté la « révolution ».
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