Damien Castera, explorateur

L’œil des explorateurs avec Damien Castera : «L’exploration comme on l’entend a encore de belles heures devant elle». Pris de liberté, ces arpenteurs et témoins du monde sont aujourd’hui tout sauf à l’arrêt ! Ils profitent de la période actuelle pour imaginer l’exploration de demain. Deuxième invité de cette série, Damien Castera, 36 ans, ex-surfeur professionnel devenu écrivain, cinéaste et explorateur.

Qu’est-ce qu’être explorateur aujourd’hui selon vous ?

Damien Castera – Si je devais tenter de définir l’exploration, je dirais que c’est sortir des sentiers battus pour aller voir plus loin en acceptant ce qu’il advient. Il y a une notion de quête, d’engagement physique et de risques.
Être explorateur ou aventurier, c’est préférer la liberté à la sécurité, l’imprévu à l’administration des choses, la marginalité au conformisme. Jack London disait : « J’aime mieux être un météore superbe plutôt qu’une planète endormie ». Voilà qui résume parfaitement la pensée qu’une vie d’aventures vaut mille vies de confort.
Ensuite, on sera tous d’accord pour dire que l’exploration au XXIe siècle n’est plus géographique. La terra incognita a déserté les atlas, il n’y a plus de nouvelles terres ou de nouveaux peuples à découvrir, plus de drapeaux à planter pour participer au rayonnement d’une nation. Pourtant l’exploration comme on l’entend a encore de belles heures devant elle. Il demeure le fond des mers, les montagnes, certaines grottes qui mènent dans les entrailles de la terre, et puis surtout, il reste l’espace.

L’espace sera la grande exploration de demain et les astronautes seront animés par les mêmes valeurs que les explorateurs qui les ont précédés : l’esprit d’aventure, la soif de découvertes, la quête de la connaissance, et un attrait inexorable pour l’inconnu…

Où et quand est survenu le déclic qui a lancé votre carrière d’explorateur ?

Je me considère davantage comme quelqu’un qui vit des aventures que comme un explorateur à part entière. Même si dans ma discipline première qui est le surf, le but est d’explorer des nouveaux territoires de glisse et de découvrir des vagues que personne n’a jamais surfées. L’esprit d’aventure est un sentiment qui me nourrit depuis l’enfance. Certains sont attirés par les sportifs de haut niveau, les peintres ou les musiciens, moi ce sont les explorateurs. Plus que le défi physique et le courage face au danger, j’ai toujours été épris de cette soif de liberté pour laquelle ces hommes sont prêts à̀ prendre tous les risques. Derrière les motivations scientifiques, géopolitiques ou sportives, je vois dans l’exploration une manière infaillible de sucer la moelle de l’existence.
Le premier voyage qui a concrétisé mes rêves d’aventures fut indéniablement l’Alaska. Deux mois d’exploration pour découvrir de nouvelles vagues, bivouaquer, pêcher, partager le territoire des ours, et surfer avec les orques au pied des montagnes enneigées. Une expérience que je n’oublierai jamais.

Comme explorateur, comment appréhendez-vous finalement le terrain, ses contraintes, les dangers et, in fine, le changement ?

Avant chaque expédition, il y a des mois de préparation. Comme les endroits où je me rends sont généralement peu ou pas connus, il faut étudier les cartes, l’histoire des peuples, essayer d’imaginer et se projeter un maximum. Malgré cette préparation, il demeure une très grande part d’inconnu, c’est ce qui fait la différence avec un voyage touristique. Dans l’aventure, on connaît son itinéraire dans les grandes lignes mais de nombreuses variables rentrent en compte et bouleversent les plans échafaudés en amont.
Paul-Émile Victor avait une superbe formule pour ça, il disait « Dans l’aventure, rien ne doit être laissé à l’imprévu mais tout est imprévisible ». La notion de danger est quant à elle indissociable de l’exploration puisque par définition, les derniers endroits inexplorés sont ceux qui demeurent très difficiles d’accès. Généralement des lieux régis par des forces naturelles hostiles et imprévisibles : la jungle, le grand large ou le fond des mers, le désert, les pôles et les montagnes.

En mode confiné et dégradé, quels sont vos conseils d’explorateur pour bien et mieux vivre le changement ?

Ce confinement, je le vis un peu comme une expérience de camp de base en expédition au moment où une tempête nous assigne à résidence pour plusieurs semaines. Il faut instaurer une certaine discipline pour ne pas sombrer dans le syndrome de Diogène. Par exemple, les tâches pour nourrir la tête le matin et celles pour nourrir le corps l’après-midi. Il est important de se fixer des objectifs, comme dans mon cas 1 heure de sport par jour, 2 heures de lecture et 3 heures d’écriture.

De manière plus générale, ce confinement me sert à préparer « l’après », mes prochaines expéditions, mes prochaines aventures. Je pense que si on aborde la vie comme une aventure, alors il faut des moments de préparation et de réflexion et des moments d’action. Évidemment, ce n’est pas simple pour tout le monde, je pense à ceux qui ont des enfants et des missions de télétravail à gérer, pour eux il est certainement difficile de s’octroyer du temps pour soi. Pour ceux qui ont la chance d’avoir du temps de libre, c’est une merveilleuse opportunité pour bâtir l’après.

Pour ceux qui ont la chance d’avoir du temps de libre, c’est une merveilleuse opportunité pour bâtir l’après.

Dans cette période de repli, quels sont vos conseils lecture et film en lien avec le monde de l’aventure pour s’évader ?

J’apprécie énormément les écrivains qui se servent de leur vie pour bâtir leur œuvre et non l’inverse. Généralement des personnages engagés et présents dans les grands rendez-vous de l’histoire. Parmi eux, mes favoris sont Joseph Kessel, Saint-Exupéry, Romain Gary et Jack London. Parmi ceux-là, je conseillerais L’armée des ombres, Vol de Nuit, Les racines du ciel et Le vagabond des étoiles.
Dans la littérature classique et comme on a un peu de temps devant nous, je conseille vivement Le Comte de Monte-Cristo de Dumas ou Crimes et châtiments de Dostoïevski. Pour effectuer un beau tour d’horizon en images, évadez-vous avec les films de Solidream, et ceux de Hamid Sardar comme Le cavalier mongol.

Source: lefigaro