Alexandre Poussin, explorateur

Épris de liberté, celle de penser comme de circuler, ces arpenteurs et témoins du monde profitent de la période actuelle pour imaginer l’exploration de demain.

Des réflexions qu’ils partagent avec nous. Rencontre avec Alexandre Poussin, 50 ans, explorateur, réalisateur, conférencier et écrivain-voyageur.

 


Qu’est-ce qu’être explorateur aujourd’hui selon vous ?

Alexandre Poussin – C’est, en toutes choses dépasser sa zone de confiance, sa zone de confort et sa sphère de connaissances. C’est se remettre en cause en permanence afin, comme le poète, de plonger au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau. Quant à moi, c’est voyager différemment, porter un regard plus lent et plus profond, plus interactif aussi sur les phénomènes que j’observe. Donc c’est un état d’esprit, un regard sur le monde réel, et une curiosité qui ne peut s’étancher que par l’action.

Où et quand est survenu le déclic qui a lancé votre « carrière » d’explorateur ?

Difficile de trouver le déclic originel d’une vie d’explorateur. Ce n’est ni un métier ni une carrière, c’est plutôt un mode de vie, un regard sur le monde. Pour moi, les premiers signes viennent du Québec où j’ai grandi et contracté l’amour des grands espaces et de la solitude dans la nature, puis il y a eu le scoutisme et ses divers camps et raids, notamment un certain raid Woodcraft qui se fait en solitaire, et qui a enfoncé le clou.

Enfin, il y a eu la traversée de la France, seul à bicyclette, à 16 ans, qui m’a donné envie de faire le tour du monde ! Idée confirmée par la lecture du livre d’Alain Guigny, La terre sur deux roues, quand j’étais à Sciences Po, j’en ai parlé à Sylvain (Tesson) et hop ! On était partis ! Donc c’est une vocation qui se découvre peu à peu, à la fois par élimination du reste et de ce qu’on est sûr de ne pas vouloir faire, et parce que c’est ce qui me rend heureux. Je m’y sens pleinement vivant. Ce qui n’est pas obligatoire ni universel !

Partir prendre des risques, se priver de tout, dormir par terre, ne pas savoir où l’on dormira le soir même, ce que l’on mangera est une source d’angoisse absolue pour la majorité de nos semblables, c’est plutôt ce qui motive l’explorateur, même si ce ne sont pas des fins en soi, ce sont des « inconvénients considérés positivement » pour reprendre la définition de l’aventure par Chesterton. La finalité étant la découverte de soi, des autres et du monde. Le programme est vaste !

Comme explorateur, comment appréhendez-vous finalement le terrain, ses dangers et le changement ?

Le terrain, je m’y sens chez moi. Quel qu’il soit. Mer, désert, montagne, neige, jungle. Il ne m’est pas étranger. J’y retrouve très vite mes réflexes et mes sensations. Il faut juste avoir l’équipement adéquat, ne pas être pressé, accepter de se priver et de souffrir un peu. Refuser la pression des autres. Laisser venir à soi le jour qui vient et dépasser les épreuves. Le terrain ne ment pas. Il est la nature. Il faut s’y réadapter. S’il est traître c’est qu’il recèle des pièges que nous n’avons pas déjoués. Chaque milieu à ses règles. L’explorateur apprend à être tout à la fois commando, sportif de haut niveau, ascète, encyclopédiste, géographe, botaniste, zoologue, ornithologue, anthropologue, ethnologue, sociologue, économiste, politologue, bref, il tente de devenir un « honnête homme », le programme d’une vie.

En mode confiné et dégradé, quels sont vos conseils d’explorateur pour bien et mieux vivre le changement ?

Il n’y a pas de vie sans cellule. L’ADN est confiné dans sa cellule. La véritable liberté est intérieure elle n’est pas dans le mouvement. Pourvu que l’immobilité soit choisie. Quand elle est contrainte, Il faut savoir qu’elle ne sera pas éternelle et en tirer profit. Ce qui aide c’est de se fixer une routine et s’y tenir. C’est à la fois mental et pratique. Il faut du rythme. Alterner exercices physiques, intellectuels et contemplatifs.

Je me lève à 5h30 quitte à faire une petite sieste plus tard. Je suis en rééducation d’un ligament croisé, alors ça tombe bien pour l’exercice. Un peu de jardin, un peu de lecture, beaucoup d’écriture, une tournée d’inspection de la maison, les devoirs des enfants, et les tâches ménagères. Pas une seconde de battement !

Surtout il faut éviter de se faire piéger par les écrans, et les mauvaises nouvelles du monde sur lequel vous n’aurez pas de prise. S’en tenir au minimum. Sinon c’est crise d’angoisse et fièvre « obsidionale » garantie ! Pour moi en fait, ce confinement ne change pas grand-chose car je déteste gesticuler, perdre mon temps dans les déplacements, et par-dessus tout être coincé dans les embouteillages.

Je ne me sens pas plus confiné qu’un moine dans son monastère car je suis à l’écriture de nos quatre ans d’évasion à Madagascar, alors je suis fort occupé avec mes souvenirs et l’exercice de restitution afin de pouvoir partager notre expérience de ce pays, et peut-être de donner envie à d’autres d’aller s’y engager dans la défense de l’environnement ou la coopération.

Dans cette période de repli, quels sont vos conseils lecture et film en lien avec le monde de l’aventure pour s’évader ?

J’ai relu récemment Africa Trek et Marche Avant pour me remettre dans le bain de l’écriture. Et j’ai adoré ! (Rires !) J’avais un peu perdu confiance en moi, à force d’être dans l’action ou dans la représentation. Ce confinement m’a aidé à replonger dans l’indispensable réflexion et la vitale restitution.

Et en plus de livres d’histoire ou d’ouvrages de documentation sur Madagascar, j’ai relu trois livres qui m’aident à réfléchir le monde de demain : Mal de Terre d’Hubert Reeves et Frédéric Lenoir, Le plein s’il vous plaît ! de Jean-Marc Jeancovici et Alain Grandjean, et L’humanité disparaitra, bon débarras ! d’Yves Paccalet. Hilarant et grave à la fois.

Je m’intéresse aussi aux modèles de décroissance raisonnée. Je conseille vivement la lecture de la somme Vivre avec la Terre en trois volumes de nos amis Charles et Perrine Hervé-Gruyer de la ferme du Bec Hellouin, qui donnent vraiment un mode d’emploi pratique sur le monde et le rapport à la terre qu’il faut réinventer. Bref, je profite de ce confinement pour me préparer à la plus fabuleuse des aventures : l’avenir !

Source: Le Figaro