Par La Rando

Le business français va-t-il profiter de l’effet Mali en Afrique?

La conférence économique franco-africaine a permis de vérifier la nouvelle cote d’amour de la France en Afrique depuis son intervention militaire au Mali. Un atout réel pour espérer regagner des parts de marché à condition de changer aussi de « cartes mentales ».

Près de 1000 hommes d’Etat, investisseurs et chefs d’entreprises se sont réunis pour un sommet économique franco-africain mercredi 4 décembre. Parmi eux, quelque 300 patrons de sociétés privées. Une affluence exceptionnelle qui illustre peut-être un tournant. Maître de la cérémonie à Bercy, le ministre de l’économie Pierre Moscovici a d’ailleurs défendu l’idée que la rencontre se déroulait « à un moment charnière des relations entre la France et le continent africain ».

Parts de marché en chute libre

De fait, ces dernières années, »la France a inexorablement perdu du terrain dans la relation privilégiée » avec l’Afrique, a reconnu le ministre. Ce qui se traduit de façon spectaculaire au niveau économique. La part de marché de l’Hexagone au sud du Sahara a en effet chuté de 10,1% à 4,7% entre 2000 et 2011. Et cette tendance s’observe également dans les pays francophones où elle a été « divisée par deux en 20 ans, passant de 31% à 13% en Côte d’Ivoire », par exemple, a renchéri Nicole Bricq, la ministre du commerce extérieur.

Un tel déclin n’étonne pourtant pas l’ex-ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, chargé par le gouvernement de faire des propositions pour remédier au problème, et pour qui « l’explication saute aux yeux ». « En dehors des problèmes de la France partout, c’est à dire son manque de compétitivité, l’installation depuis longtemps en Afrique a créé des rentes de situation pour des entreprises qui se croyaient un peu chez elles », détaille-t-il. Elle se sont vues soudain dépassées par des entreprises chinoises, turques, indiennes ou brésiliennes. La Chine, en particulier, s’est imposée comme le partenaire économique principal du continent africain, faisant bondir sa part de marché de 2% en 1990 à plus de 16% en 2011.

Pierre Moscovici reconnaît sans peine que l’Hexagone, au cours de la dernière décennie, n’a pas vu l’Afrique évoluer « au point de devenir une nouvelle frontière de l’économie mondiale (…) convoitée par les puissances émergentes, de l ‘Amérique latine à l’Asie en passant par la péninsule arabique ». Et le ministre de poursuivre ainsi le mea culpa de la France: « Elle a perdu du temps dans une réflexion stérile sur l’Afrique à se demander comment se repositionner face à un continent qu’elle a si longtemps vu, d’abord et avant tout comme une chasse gardée (…) Certains voient toujours l’Afrique comme un continent de derniers, pas comme un continent de pionniers ».

Retour de flamme pour la France

Mais les choses ont changé. Le gouvernement affiche sa volonté de « changer de cartes mentales » dans ses relations avec l’Afrique. « L’Afrique a besoin de nous, mais nous avons surtout besoin de l’Afrique », poursuit ainsi Pierre Moscovici. Et de noter que, malgré les pertes de parts de marché, les exportations de la France ont progressé de 7,7 milliards d’euros en 2000 à 17,5 milliards en 2011, contribuant ainsi déjà « pour près de 0,1 point chaque année à notre économie ». Or le potentiel du continent est énorme: sa croissance est depuis plus d’une décennie surpérieure à 5% et des échanges internationaux ont crû de 16%.

Pour profiter d’une partie de cet eldorado, le gouvernement espère surfer sur une cote de popularité au plus haut depuis longtemps sur le continent africain. L’engagement de Paris dans le conflit malien et, bientôt, en Centrafrique ont passablement changé la donne, comme le souligne un rapport du think tank Terra Nova, en avril 2013. La Tanzanie, comme l’Union africaine, le Nigéria ou l’Afrique du Sud ont salué les interventions françaises.

Le regain de violence, parfois jihadiste, inquiète en effet tout le continent africain, explique Serge Michaïlof, chercheur associé à l’IRIS. Car « si l’Etat centrafricain s’écroule comme en Somalie, ce cancer qu’est la multiplication de groupes armés va se développer en métastases dans la région », souligne-t-il. Paris a donc regagné l’estime de nombreux dirigeants africains, au-delà de ses habituelles amitiés sub-sahariennes.

Les entreprises françaises vont-elles profiter de ce nouvel amour pour la France? Le succès de la réunion de Bercy – à défaut d’avoir débouché sur des contrats -, traduit des un climat favorable. François Hollande y a affirmé sa volonté de « doubler les échanges économiques avec l’Afrique » en cinq ans, ce qui serait susceptible de créer 200 000 emplois en France. Et il a annoncé la création d’une fondation franco-africaine pour la croissance. Sans compter les 15 propositions contenues dans le rapport commandé à Hubert Védrine qui préconise de faciliter l’obtention des visas économiques, de mobiliser l’argent de la diaspora africaine et de favoriser la créations de fonds d’investissement africains;..

« Le risque entrepreneurial serait de ne pas y aller »

Reste à savoir dans quels domaines coopérer. Au mois de juillet 2013, une délégation du Medef s’est rendue au Mali. « Nous avons été accueillis à bras ouverts », souligne Philippe Gautier. Avant de se rendre sur place, « nous pensions que le Mali avait besoin d’infrastructures. En fait, leurs besoins d’investissements se trouvent surtout dans le secteur agroindustriel. » Les entreprises françaises se positionnent en première ligne pour rattraper leur retard et s’implanter dans des secteurs, comme les infrastructures, la distribution ou l’agroalimentaire.

« On est au début d’une révolution internet en Afrique, et de nombreuses entreprises françaises sont compétentes dans ce secteur », se réjouit Philippe Gautier. De son côté, Carrefour, qui était déjà implanté en Afrique du Nord, a conclu un accord au mois de mai avec un autre groupe français, CFAO, pour s’installer dans huit pays africains, rappelle RFI.

Pour Olivier Laroche, les dirigeants français devront surtout prendre en compte les spécificités des marchés africains et privilégier le co-développement.Et ne pas se laisser effrayer par le contexte instable. « L’instabilité dans la région existe, le risque politique existe, mais le risque entrepreunarial serait de ne pas y aller », conclut Philippe Gautier.

Par Pauline Hofmann

Source: L’EXPANSION