Randonnée en Arménie

Indépendant depuis 1991, ce petit pays du Caucase reste encore trop méconnu et sa beauté n’en est que mieux gardée. Et si on y partait en vacances loin du tourisme de masse ?

Selon la légende, Dieu aurait oublié les Arméniens lors de la Création du Monde. Il leur donna ce qu’il lui restait : une terre et un tas de pierres. Il composa alors un tableau minéral et austère égrené de falaises abruptes, de volcans éteints, de laves, d’orgues de basalte et de rochers balayés par les vents. Il compléta la scène par un soleil rayonnant (environ 270 jours d’ensoleillement par an) gorgeant de sucre les abricots, grenades et raisins des vallées et faisant roussir les herbes folles des hauts plateaux. Les Hommes, eux, posèrent des églises et des monastères dans ces paysages spectaculaires, aux creux des roches ou à leurs sommets reculés, aux confins des mondes.

Croyant ou pas, on sera touché par l’aura mystique de ces lieux qui apaisent. Comment rester le même après avoir vu le monastère de Noravank dans les ors du soleil couchant, entouré par la pierre rougissante et bercé par le chant des grillons et des hirondelles ? Et comment redescendre sur terre ? Littéralement. Grimper l’escalier extérieur de l’Eglise Sainte-Mère-de-Dieu (XIVe siècle) semble périlleux. En descendre est presque terrifiant tant les marches, sans rambarde, sont hautes et peu larges ! Un symbole, bien sûr : accéder à Dieu resterait facile mais abjurer sa foi serait plus compliqué, avance notre guide en guise d’explication. Depuis l’indépendance en 1991, la religion est redevenue le ciment du pays. Étouffée pendant 70 ans de communisme, elle s’est réveillée, retrouvant ses racines chrétiennes remontant à l’an 301.

L’Arménie à pied

En route vers le vieux village abandonnée de Chinouhayr.

C’est à pied que l’on découvre le mieux ce petit pays de la taille de la Belgique, quitte à forcer sur les mollets devant les dénivelés impressionnants. Les panoramas se méritent comme ceux du monastère Tsakhats Kar, de la forteresse de Smbataberd ou des montagnes arides Sev Sar que l’on franchit aux côtés du sosie de George Clooney. Ce guide chevronné de randonnée y parle de serpents, de loups, de mouflons, d’ours bruns et de léopard des neiges peuplant le pays… C’est à pied, toujours, que l’on rejoindra, les maisons troglodytes du village du Vieux Chinouhayr, abandonné suite au tremblement de terre de 1931. On y rencontre, chez lui, le joyeux Sergei Danielian, courbé par ses 80 ans, habitant seul au milieu des ruines. Il faut voir son sourire aux dents en or pour comprendre que les visites sont rares et précieuses. Tous ses voisins ont déménagé dans la nouvelle ville mais rien ne le fera partir de sa maison d’où il surveille le cimetière qui la jouxte. Il y a quelques années, il a fait fuir, dit-il, des voleurs de pierres tombales en tirant en l’air avec sa kalachnikov. Les toasts s’enchaînent avec, à chaque fois, une bouchée de cornichon. L’eau de vie de Sergei vous rend gai comme un pinson. Il est temps de partir. Sur le chemin, le passé resurgit par un détail : un verrou rouillé et ouvert, estampillé CCCP (URSS) à l’entrée d’une église abandonnée. Plus loin, le téléphérique de Tatev se dessine, glissant au-dessus de la gorge de Vorotan sur 5 752 mètres en moins de 15 minutes. Là, derrière les remparts du complexe religieux de Tatev du IXe siècle, qui abrita jusqu’à 1 000 moines à son âge d’or, une colonne oscillante aurait le pouvoir de vibrer pour annoncer le pas des assaillants…

Et en voiture ?

En voiture, le voyageur ne risque pas de s’ennuyer. Les scènes défilent entre poésie, nostalgie et surprise : les meules de foin sont aussi hautes que les maisons ; les roues de fête foraine, coincées entre des immeubles soviétiques, murmurent «la fête est finie» ; les cochons s’alignent dans les coffres de voiture au marché aux animaux ; les gouttières en fer blanc se terminent par des oiseaux… Le regard absorbe tout. Et si les paupières sont lourdes et le sommeil difficile à venir, il suffira non pas de compter les moutons mais les stations-services qui fleurissent sur la route – à se demander, tout de même, si une mafia n’y blanchit pas son argent… Le plus étonnant reste, bien sûr, les paysages d’une grande variété. Après le col de Sélim (2 410 mètres) surgit l’immense miroir bleu du lac Sevan. Autour, certains villages ont des airs de stations balnéaires avec leurs petits kiosques de souvenirs et leurs bus alignés attendant les touristes, notamment au pied du monastère de Sévanavank. Tout près, la Maison des Écrivains de Sevan (construite dans les années 30 et 60) reste l’un des témoins de l’architecture soviétique – en cours de rénovation grâce à la Fondation Getty. Pas très loin, le cimetière de Noratus est réputé pour ses khachkars, les fameuses croix en pierre dont le pays est rempli.

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